Pour la deuxième année, l’artothèque du lycée Antonin-Artaud, unique en France, se voit privée d’une subvention de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC). Une pétition réclame son retour alors de la ministre de la culture Françoise Nyssen veut faire de l’éducation artistique une priorité.

 L’actualité parfois carambole. Il y a quelques jours, la ministre de la Culture Françoise Nyssen était en visite officielle à Arles pour célébrer « une rentrée en images ». Mercredi, lors du conseil des ministres, Jean-Michel Blanquer et Françoise Nyssen présentaient conjointement la nouvelle priorité donnée par leurs ministères à l’éducation artistique et culturelle.

100 % des enfants touchés par les trois dimensions que sont la pratique artistique, la fréquentation des œuvres et la rencontre avec les artistes, l’acquisition de connaissances dans le domaine des arts et de la culture.  (…) Le goût de la pratique artistique passe également par la rencontre avec les œuvres et les artistes. C’est pourquoi, les résidences d’artistes seront développées, comme les dispositifs de découverte des lieux culturels et des œuvres in situ.

Exactement la mission que remplit l’artothèque du lycée Antonin-Artaud (13e) depuis 30 ans : faire entrer l’art et les artistes dans le lycée, y constituer une collection ouverte à tous. Or, pour la seconde année consécutive, la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), antenne locale du ministère de Françoise Nyssen, n’a pas renouvelé son soutien financier à la modeste et généreuse institution marseillaise. Dans le même temps, sur internet, une pétition enfle jour après jour de nouveaux noms, jusqu’à atteindre 1400 quelques jours après son lancement. Lancée par un groupe d’artistes du vivier marseillais, elle a pour but de sauver l’artothèque du lycée Antonin-Artaud.

Pourtant le lieu est unique. « Il s’agit de la seule artothèque installée dans un lycée en France. Depuis 30 ans, nous réalisons trois expositions par an d’artistes locaux avec la publication d’un cahier monographique et l’achat d’une œuvre, résume Gérard Fontès, président de la structure et ancien prof de philo du lycée. Nous avons donc une collection de 600 œuvres d’art, pièces uniques et multiples, qui sortent régulièrement, prêtées à des élèves, des professeurs ou d’autres structures. »

Œuvre de Philippe Domergue dans un couloir du lycée qui reprend des photos de lycéens.

En mots choisis, le directeur de la DRAC, Marc Ceccaldi, s’explique dans une lettre du 4 mai : « les cadrages budgétaires ainsi que les priorités retenues par mon service ne permettent pas de répondre favorablement à votre demande cette année » et ce malgré « l’intérêt de vos projets ». La subvention en question s’élève à la hauteur vertigineuse de 2500 euros.

Une paille pour le budget de la culture en région. Une part non négligeable des 17 à 18 000 euros de budget annuel de l’artothèque trentenaire. « Longtemps, la subvention de la DRAC était de 5 000 euros, explique Denis Chapal, autre ancien retraité et administrateur qui suit de près les questions financières. Il y a deux ans, suite à un cafouillage de notre part dans la demande la subvention a été divisée par deux. En 2016, elle a été coupée ». « En 2016, la DRAC avait justifié son abandon par le fait qu’elle souhaitait réorienter ses crédits vers le travail pédagogique en direction des élèves, explique Gérard Fontès. C’est déjà ce que nous faisons. Nous avons donc réorienté notre demande en mettant en avant ce travail. Sans résultat. Si la DRAC ne revient pas sur sa décision, nous devrons réduire nos activités.« 

Malaise à la DRAC

Une position confirmée par la direction des affaires culturelles qui indique bien que la volonté était de réorienter les financements vers de l’éducation artistique et culturelle. « Cela semble complexe de faire financer de l’achat d’œuvres avec des crédits de fonctionnement, y indique-t-on. Les fonds de la DRAC ne peuvent pas servir à cela. Nous avons donc souhaité que l’association réoriente ses actions vers l’éducation artistique et culturelle et la pratique artistique. » Mais cela n’a pas suffi,oncède-t-on, un peu gêné, à la DRAC. « Nous sommes sur une démarche de professionnalisation de la médiation culturelle et non pas pour le bénévolat des professeurs. En revanche, nous pouvons financer ce type d’action via les artistes que nous aidons. » En clair, la pétition tombe mal alors que l’artothèque s’inscrit pleinement dans les orientations récentes du ministère. « La porte du directeur des affaires culturelles reste ouverte pour plus d’explications », ajoute-t-on sans promettre que le feu du financement passe au vert. Après tout, l’orientation présentée en conseil des ministres est également portée par l’Éducation nationale qui accueille l’artothèque en ses murs. En attendant la fin du ping-pong, l’artothèque d’Artaud continue sa route sur un sentier financier qui s’amenuise.

Les dernières acquisitions de l’artothèque en attende d’accrochage.

Le chemin qui y mène est jalonné d’art. Gros lycée d’enseignement général adossé au massif de l’Étoile, l’établissement accueille l’artothèque dans une ancienne salle de classe attenante au centre de documentation. Là, deux sculptures, de fragiles roses de papier et un buste de Marie Ducaté, y signalent la présence du lieu. Dans le réfectoire situé non loin, une immense photo trône. En face, un mur entier sert de cimaises.

« Promis juré », je ne dois pas copier coller », dessin à la perceuse de Yazid Oulab dans un des couloirs du lycée.

Entre les deux, l’artothèque proprement dite présente des murs blancs au pied desquels des tableaux, photos, dessins et peintures attendent l’accrochage. On y trouve les plus récentes acquisitions ainsi que des images de Jean-Jacques Ceccarelli, artiste marseillais récemment disparu. Le président Gérard Fontès y reçoit avec deux enseignantes du lycée qui participent aux activités de l’artothèque en dehors des cours.

De l’art en cours de maths

Camille Bieche est professeure de mathématiques et Marion Chopinet enseigne l’histoire-géo et le théâtre. Car c’est là une des particularités de l’artothèque et du lycée qui l’accueille, il n’y a pas d’enseignements d’arts plastiques, le lycée Diderot tout proche en a fait sa spécialité. Ce sont donc des enseignants de matières classiques qui intègrent l’art à leurs cours. « Cela dépend des enseignants, distingue Camille Bièche. Certaines intègrent le travail sur les œuvres à un projet pédagogique dans leur discipline, d’autre pas. C’est d’ailleurs mon cas. Quand nous travaillons sur l’art, c’est sans rapport avec le programme de maths. » Sa collègue a plus de facilité à utiliser les œuvres « pour un travail sur la scénographie par exemple ».

Détail du placard où est rangé le trésor artistique de l’artothèque.

Lors de la venue de Suzanne Hetzel, cinq classes ont directement participé aux choix de œuvres composant son exposition autour du paysage. « Allemande, elle a aussi fait une visite commentée de son exposition en anglais, dans le cadre d’un cours de langue », sourit Marion Chopinet. Les passerelles sont partout et sans cesse empruntées aux dires des bénévoles qui font vivre le lieu. Le modeste placard qui sert de réserve est sans cesse en mouvement pour des prêts ou des expositions. On retrouve des tableaux dans les couloirs, dans les bureaux de l’administration, un peu partout disséminés.

Un point d’ancrage pour les artistes

Le lieu est aussi important pour les artistes eux-mêmes et le riche vivier marseillais qui survit parfois dans une grande précarité. C’est d’ailleurs ce qui explique la vitesse de propagation de la pétition. « Le 7 juillet, Gérard Fontès m’a alerté sur le refus de la DRAC. J’ai aussitôt écrit un texte en réponse, explique Didier Petit, depuis son atelier du Panier où ses dentelles de papier découpé se jouent de la lumière. Nous avons ensuite décidé de laisser passer l’été. Ensuite, nous nous sommes réunis notamment avec Marie Ducaté, Suzanne Hetzel pour faire de ce texte un message collectif et lancé la pétition. »

Au-delà du travail de médiation et des liens que crée le lieu, Didier Petit insiste sur le précieux écrin qu’il offre aux artistes. « Les cahiers qu’ils éditent pour les expositions sont souvent un premier catalogue pour de nombreux artistes. C’est très important pour faire circuler leur travail. De la même manière que l’achat d’œuvre contribue à cette circulation. » Achetée 1000 euros pour une pièce unique et 500 pour une reproduction, le geste est symbolique mais précieux dans un milieu où les artistes paient parfois pour être exposés. Le dessinateur au scalpel cite ainsi sans le nommer un centre d’art pour lequel il a dû lui-même payer l’encadrement de ses œuvres.

Didier Petit y a exposé cinq fois et répond présent à toutes les sollicitations, y compris pour venir commenter auprès des élèves des œuvres d’autres artistes, « parce que j’aime ça », dit-il avant de partir dans un récit d’anecdotes filées sur ces petits bonheurs de rencontres autour de l’art. Exactement la mission que remplit l’artothèque. La pétition encore grossie de centaines de signatures doit arriver le 3 octobre sur la boîte mail du directeur de la DRAC et celle de sa ministre de tutelle. Pile le jour du vernissage. Ils y seront sans doute invités.