les étudiants du DU « animateur d’atelier d’écriture » avec Armelle de Sainte-Marie

Le 21 avril 2017
dans Expositions, Projets pédagogiques

Artiste(s) invité(s)

DE SAINTE MARIE Armelle

Comme chaque année, les étudiants en Diplôme Universitaire « animateur d’atelier d’écriture d’Aix-Marseille-Université, sont venus à l’artothèque à l’initiative de leur enseignante, Laure-Anne Fillias. Ils ont rencontré Armelle de Sainte-Marie, et écrit à partir de ses oeuvres.

Voici quelques textes issus de cette séance du 27/02/2017 :

Cueillez et écrivez

Largement chemine caille, paille, cartable

Largement descend ample, lance, lacet

D’ascension chaude et froide

Bonbon sucré rouge

Et pompon de colère

Va-t’en l’air de rien

Eclabousse et dégouline

Tuyau rouge aussi qui se creuse

Et disparaît derrière l’ample

Et spongieuse matrice

Et se hisse et se plisse

Dans le corail tissé des mailles noires

Cheveux en dentelle

Frange basse et épaisse

Famille en absence et trop plein

Ainsi se départage et s’entremêle

Et se danse et s’interrompt

Et se reprise chaussette

Fanfaronnades musicales

Et décalées

Flamboyances

De ce parcours pastoral et pacotille.

Christine de La Souchère

A/Cueillettes de mots : tableau Odyssée 15 / huile sur toile

Rouge, bouge, lourd, couler, gouffre, sans fin, sucré, chantilly, lac, bleu, lapis lazuli, crème, sentir, humer, croix, épines, douleur, terre, nid, oiseau, gorges, se diluer.

Mots spontanés devant le tableau : création, s’enfoncer, libérer

Association à d’autres mots :

Création, origines, / s’enfoncer, glisser, sombrer/ complexité, miroir/ grotte, refuge, découverte.

B/ Ecrire :

L’eau coule sur la terre dans un étourdissant grondement tellurique. Le lac tranquille miroir du ciel, reflète toutes les variations du lapis lazuli. Je sens les épines noires s’enfoncer dans mon corps rougeoyant, autant de croix, autant de gouffres sans fin. Oiseau, depuis mon nid la crème chantilly sucrée coule dans ma gorge, baume apaisant de tant de douleurs. Mon corps lourd, bouge, s’enfonce, se dilue dans la grotte, il hume une dernière fois le ciel bleu azur jusqu’à sombrer enfin libéré. Le domaine de la création glisse dans le miroir de sa complexité, refuge de la découverte des origines.

Ce texte poétique a été écrit lors de la première observation avant les consignes :

Eclat d’orange

des lacs venus des profondeurs

terre assoiffée du sang des hommes

dans l’ombre des abysses

Sillons de rides

à peine ébauchées surgies

d’une route limpide

en bleu lapis lazuli

Saisons exquises

entre ombre et lumière

dans une évanescence

d’odyssée

2) Recevoir une autre démarche :

Dans le partage avec Armelle de Sainte Marie, j’ai trouvé une grande similitude entre sa démarche créative et le travail d’écriture. Ce qui m’a le plus frappé, c’est le moment où elle a parlé de cette sorte d’intériorité solide que lui a donnée sa création. Je ressens la même chose, une hypersensibilité extérieure et même parfois une apparence de fragilité qui contraste avec cette sorte de sécurité intérieure. Cette sensation d’être à la bonne place et d’en ressentir jusque dans le corps un épanouissement.

Pour ce qui concerne la manière dont elle aborde la peinture, je pense qu’il y a une similitude avec l’écriture. Pour ce qui me concerne, en particulier dans cette sensation du temps qui s’arrête, de ne plus ressentir son corps et d’être dans un lâcher prise complet. Ce sont des états méditatifs intenses qui ne me font plus peur aujourd’hui. Je n’ai également pas l’impression d’être l’auteur de mes textes il y a une force en moi qui me pousse à créer mais contrairement à Armelle, il me faut toujours une contrainte de départ pour rentrer dans ce travail. Je suis intimement persuadée que les artistes ne sont que des transmetteurs de parcelles de choses qui nous dépassent. Nous comprendrons tout cela après notre passage sur terre.

Je me suis également sentie en harmonie par rapport à cet équilibre dont j’ai besoin pour créer. Je suis également d’humeur assez égale et je n’ai pas besoin d’ambiance particulière pour écrire. Toute ma vie sert à l’écriture. Ma perception de la vie et les choses ont changé avançant en âge.

En revanche, contrairement à elle, je me laisse plus facilement envahir par ma vie quotidienne ce qui est parfois un frein à ma création. J’ai besoin de grands moments pour écrire et ma vie de travail prends encore parfois le dessus. J’écris davantage quand je suis à l’extérieur de ma vie. Un point de convergence également est que j’ai besoin de l’émulation et de me frotter à d’autres artistes pour écrire.

L’aspect du travail physique par contre me parait un peu différent. Quand j’écris je suis souvent assise devant un ordinateur ou une feuille. Je suis beaucoup plus statique qu’Armel. D’ailleurs c’est une question que je me suis posée quand elle nous a parlé de ses attitudes durant la peinture. Je pense que je n’ose pas assez utiliser mon corps durant l’écriture. Pourquoi ne pas écrire au mur ou au plafond pour avoir un engagement corporel plus spatial ?

Les jonctions possibles avec mon acte d’écrire relève peut-être de l’interculturel. La peinture n’est pas souvent utilisée dans l’écriture. Pour ce qui me concerne, j’ai travaillé avec une artiste peintre mais c’est elle qui a travaillé à partir de mes textes. Je pense que l’art en général est un excellent médium pour produire l’écriture et en particulier en atelier d’écriture.

Pour conclure, je remercie Armelle de Sainte Marie de nous avoir livré en toute sincérité la beauté de son être intérieur. L’ensemble des points de convergence ainsi que ses œuvres me révèle une âme proche.

M-Ch Gay

D’autres yeux que les miens

 

Ce que verrait mon homme ? Un continent

Oui, mais céleste

Ce que verrait mon gosse ? Un titan

Oui, mais d’orient

Ce que verrait ma femme ? Une chaussure

Oui, mais à semelle de vent.

 

Ce que verrait le paysan de mon champ?

Le tendre blé d’avant moissons

Ce que verrait mon esthéticienne ?

Un œil ouvert et de long frangé

Ce que verrait ma sœur ?

Une tarte oui mais Tatin.

 

Ce que verrait le gardien de ma prison ?

Des franges oui mais d’acier

Ce que verrait le gardien de mon phare ?

Son jardin oui mais je n’y serais pas.

Ce que verrait ma chèvre ?

De l’herbe oui mais plus verte ailleurs.

 

 

Par les yeux de mon homme j’aime

Le souvenir d’un voyage récent

En Afrique.

Par les yeux de mon gosse j’apprends

Que le titan d’orient est le plus grand.

Par les yeux de ma femme je réalise :

Mon âme est lestée de plomb.

 

Par les yeux du paysan de mon champ

Je mesure le chemin de l’effort à la grâce.

Par les yeux de mon esthéticienne

J’admets, un monde travesti.

Par les yeux de ma sœur je me nourris

De sens dessus-dessous.

 

Par les yeux du gardien de ma prison je relève

Que tout début à une fin.

Par les yeux du gardien de mon phare je me cherche

Et me trouve aussi.

Par les yeux de ma chèvre j’enregistre

Que je ne m’arrêterai ni ailleurs ni là.

Cath

Ce serait
Loin
Éclat de marbre tombé de statue écorchée, quelqu’un, le vivant,
À force d’y promener Fragment à l’oeil, dessus, là, quelque chose apparait
La surface se strate, le côté, fine claire
Chevelure sans figurer le familier
Déplace notre regard lie les extrémités, ne confirme rien
Polit des passages renouvelés un quelque chose dessous
Près
La surface nouvelle caresse,
Apparait le pelage d’un ours blanc, reste la coupe franche,
Le figée sans le vivant-pas comme est-ce entier forme à compléter le reste à suggérerLe fond près de quelque chose, la création près de sa nature, une évolution, comment l’apprendre, sans mains tenu loin, abandonner
L’idée de reconnaitre, admettre une création in connue.

Delphine

Nymphéas Map.

Par une froide matinée de février, dans une campagne Marseillaise dévastée, vous avez rendez-vous à l’Arthothèque Antonin Artaud. Comme souvent dans cette ville, le chaos est partout autour de vous. Mais cette fois vous restez sans voix : l’établissement d’enseignement voisin porte lui aussi le nom de cet auteur magnifique, ravagé en son temps par des thérapeutiques très spéciales.

 

Vous franchissez les grilles du lycée. Bientôt vous vous glissez dans l’exposition. Vous laissez fuser les ressentis des autres visiteurs. Vous sentez planer un mystère, dont vous imaginez qu’il vous sera bientôt révélé. Guidée par une nécessité impérieuse, de celles auxquelles vous ne savez toujours pas résister, vous choisissez de vous assoir devant une seule toile. Elle se nomme Nymphéas Map, mais vous ne le savez pas encore. Cachés sous des fils d’encre, vous découvrez un chapelet d’îles. Embarquée par la quiétude de l’expédition, vous voguez maintenant, bercée par la douce rumeur des flots.

Il fait chaud et au moment même où vous allez déposer votre manteau, vous apercevez un homme, assis à côté de vous. L’iris de ses yeux semble ne pas laisser passer la lumière. Vous vous souriez et vous l’entendez vous demander : vous aussi, il vous arrive d’être empêchée ? Vous vous entendez répondre : que dites-vous ? Sans attendre il reprend : chère Madame, la vie est bizarre et il arrive dans la vie des choses bizarres, par-dessus le marché ce tableau est bizarre et il est source de choses bizarres. Vous pensez à un de vos auteurs préférés, philologue et professeur de littérature, à son obligation de prendre des vacances depuis que les muses sont syndiquées. Vous aussi avez besoin de repos et l’homme assis à vos côtés semble lire dans vos pensées : on m’appelle Nymphéa, et je raconte des histoires. Mais peut-être ne voulez pas d’histoire ? Vous reprenez : cher Monsieur, je suis devant un assemblage de feuilles, des morceaux de voyages que le vent emporte et noie dans de sombres forêts. Je me demande comment l’artiste en arrive là, à renoncer à ce que lui permettent l’huile et la toile, pourquoi elle se contraint à ces feuilles qui l’enferment plus qu’elles ne l’empêchent ?

Voyez-vous reprend-il, et vous observez à plusieurs reprises chez lui ce tic de langage, une jeune femme enjouée et affable, doit un temps suivre un chemin qui n’est pas le sien. Ce chemin lui procure un peu de confort, et elle va s’adapter. Vous observez ces lignes droites, comme tracées à l’encre par une bonne élève sur un grand cahier d’écolier. Cela même qui vous séduit, cette capacité à questionner sa vie de manière élégante et dans un format adapté. Comme un pas de côté, un pas qui n’a rien à voir avec le mouvement induit par la taille des toiles. Un pas qui répète, qui enferme et qui va l’entraîner vers autre chose, comme un amusement précieux, le dessin d’une autre carte du tendre.

Voyez vous, reprend-il, j’aimerais avoir votre avis sur votre voyage à bord de l’Arthothèque. Vous lui demandez comment il peut ainsi vous aborder tel un corsaire et questionner votre vie. Il a réponse à tout : les questions ne sont pas indiscrètes, les réponses parfois. Vous acceptez de dériver avec lui, dans le royaume des nymphéas.

Vous passez par Nymphéa tram2, Full tram, deux ports sur le périple. Ensemble, vous découvrez Odyssée 24, la capitale du Royaume. A Re-levée, une muse semble écrire sur les nuages, en contrebas de la passerelle rouge d’un pont-levis. Vous lui demandez ce qu’il pense d’une autre toile, comme née d’un dîner entre Monticelli et Magritte. Vous êtes maintenant du côté des Montagnes de Minauderie. Vous approchez du lac d’Abandon. Il vous surprend encore, vous demande du feu. Vous n’en avez pas et partez à la recherche d’un fumeur.

 

A votre retour il a disparu. Depuis ce jour, dans cette ville au coin d’une ruelle, à l’angle d’un escalier sur la mer, vous vous surprenez parfois et vous laissez enlever par une brise d’harmonie.

Dominique Cerdan

« Une chambre à soi » ou le lieu de la création

 

L’atelier du peintre / le bureau de l’écrivain: l’extérieur de la toile et l’extérieur du texte

 

On est toujours déjà ailleurs quand on écrit. Je pense qu’il en est de même pour le peintre qui crée. Bien sûr, le peintre a un rapport à l’espace, ne serait-ce que par la spatialité de sa toile. Mais une fois qu’il a commencé à peindre, ne compte plus que cet espace-là du tableau dans lequel s’initie la création picturale et il fait littéralement abstraction de l’extérieur de la toile, il ne se voit plus en train de peindre, ne voit plus le reste de son atelier, de même que l’écrivain ne se perçoit pas en train d’écrire dans son bureau, immergé qu’il est dans le processus d’écriture.

L’écriture apparaît comme le hors-lieu paradoxal par excellence, celui par lequel on peut recréer tous les autres, réels ou imaginaires. Idem pour la peinture.

La « chambre à soi » de V. Woolf désigne l’espace réel, physique, de solitude nécessaire au travail créateur, son cadre préliminaire, espace fixe, avant la mise en branle autonome, l’ébranlement, avant son propre mouvement, le processus dynamique de création. On peut se demander ce qu’il en est de notre pratique d’écriture et du lien qu’elle entretient avec notre environnement privilégié, avec ce qui passe pour un lieu propice, favorisant – mythologiquement ?- l’activité d’écriture.

Ce lieu revêt une dimension symbolique personnelle, c’est un repère spatial intime qui préside à une émancipation par/dans l’écriture/ la peinture.

Car l’écriture s’évade et s’échappe d’emblée du lieu où elle advient puisque le seul lieu qui la tient vraiment est le pays des mots, le lieu de la langue à explorer en soi même. C’est l’unique topo qui devient « chambre à soi », jardin secret que l’on façonne, que l’on troue de recoins intimes, lieu personnel à géométrie variable.  Cet espace de l’écriture qu’elle fait naître en son déploiement même, efface celui, réel, où elle s’inscrit. Ce dernier réapparaît, volontairement ou non à la conscience –comme une sorte de rappel que l’on habite bien le corps qui écrit en un lieu déterminé, quand l’écriture s’interrompt. On peut éprouver alors un sentiment de familiarité rassurant, de reconnaissance pour ce lieu contingent, sur lequel on sait que l’on peut compter pour « en partir » à volonté en pensée, stylo courant sur le papier ou main cavalant sur le clavier. Ce lieu, on aime s’en exclure en écrivant. On y est mais on n’y est plus véritablement. On mesure qu’il est là, on lui affecte une valeur d’attachement sentimental si ça peut aider psychologiquement au départ mais on sait bien au fond, que c’est précisément au plus lointain de soi que ça se passe et certainement pas à l’extérieur.

Nous sommes évidemment insérés par nos sens dans un environnement qui nous conditionne. Et cette détermination personnelle du lieu d’écriture peut être généalogiquement évaluée, mise en perspective, calculée, étudiée, voire poétisée.

Si elle ne saurait constituer un facteur déterminant pour la valeur de ce que l’on écrit (de ce que l’on peint) elle participe toutefois d’un charme certain qui s’y attache intimement pour nous, qui colore notre activité en lui conférant une tonalité singulière, affective.

En amateur, on écrit un peu n’importe où, prioritairement et prosaïquement sur la table naturellement bien éclairée de la salle à manger, quand on s’y trouve seule et avec le calme requis.

Sinon, c’est avec d’autres « écrivants » d’ateliers d’écriture, où la petite communauté des néophytes enthousiastes – réunie dans une salle ou au contraire en plein air – est censée distiller « une louable émulation », mais où en même temps, chacun est contraint de « s’enfermer dans sa bulle » et de s’abstraire au sens strict du lieu commun pour forer son propre univers en écrivant.

D’où peint-on ? D’où écrit-on ? De soi-même, de l’insondabilité de son fonds personnel, de sa géographie interne, intérieure, qui donne seule sens au lieu de l’écriture (à l’œuvre picturale) qu’elle éclaire et oriente, comme si celui-ci (celle-ci) n’était que la surface actuelle recouvrant nombre de lieux marquants de notre vie, que l’écriture (la peinture) ravive, fait ressurgir à la manière de palimpsestes mnésiques. Ces lieux–là, les souvenirs qui y sont rattachés, constituent le terreau, la matière dont les mots vont s’emparer dans l’écriture pour ciseler des images signifiantes. Le peintre lui agit par ses gestes en exprimant par traits et couleurs avant tout son paysage intérieur.

Le lieu d’écriture apparait donc davantage comme la cristallisation d’un faisceau d’images ressources appelées à devenir potentiellement littéraires par la dynamique de l’écriture. En lui-même, il ne présente guère de relief particulier (comme l’atelier du peintre qui ne vaut que par les heures de création, de travail pictural qui s’y sont concrétisées). Ce n’est que l’expérience vécue de l’écrivain qui va le faire vivre par le travail sur les mots.

Le lieu d’écriture devient ainsi le cadre d’élaboration de référence où s’écrit ce qui importe psychologiquement et littérairement, celui où convergent les pensées créatrices, le pôle réceptacle de ce qui est en jeu hors de lui, un témoin neutre où s’accrocher aux temps de pause, un terrain dialectique de récapitulation, l’ancrage de laboratoire à partir duquel s’effectue le voyage scripturaire.

Lieu initiateur de l’écriture, non initiatique. J’imagine qu’il en est de même pour le peintre dans son atelier.

Les lieux d’écriture sont de bien jolis points fixes, des pré-textes mais ce sont les contrées insoupçonnées en soi-même qui sont déterminantes en dernière instance pour la puissante torsion que représentent l’exploration littéraire et la création d’univers qui relèvent de la maîtrise d’une dynamique d’imprégnation personnelle.

L’atelier du peintre/l’espace de l’écriture n’est finalement que cet entre-deux mouvant, cette sorte d’alambic interne à construire entre présence et absence, où l’on ruse avec les lieux de la vie, et avec les rencontres réelles, artistiques, littéraires qui y ont laissé leurs empreintes. C’est seulement à partir de celles-ci qu’est susceptible de commencer le travail…

Le corps du créateur

 Le seul artiste dont le corps tout entier est non seulement le lieu de surgissement artistique, mais où la coïncidence est totale entre la mobilité du corps et l’art, c’est le corps du danseur, pour moi le seul corps-artiste stricto sensu (le chanteur utilise certes ses cordes vocales et son appareil respiratoire, mais guère plus). Le corps dansant, en ce qu’il exploite en les développant à un degré inouï l’intégralité de ses capacités expressives, incarne au sens propre une vivante et mouvante œuvre d’art, la seule qui soit toujours en mouvement à travers lui…

Dans les autres arts – l’écriture littéraire, la peinture, la musique- le corps est contraint, voué à une immobilité plus ou moins totale. Il constituerait plutôt une entrave que l’on tente d’oublier dans le temps de concentration créatrice, durant lequel il est, oui, en un sens sacrifié sur l’autel de la création artistique, dans ses aspirations à la liberté de mouvement au profit d’une sublimation par le mouvement du pinceau, de l’archet ou du stylo. Seules les notes, les pensées mouvantes, colorées, courant sur le papier échappent métaphoriquement à l’immobilité.

Parfois je ressens comme une contention presque torturante le fait de demeurer assise plusieurs heures pour écrire. Au bout d’un certain temps, le corps en manque de mouvement, réclame ses droits, se rappelle à notre existence et physiquement, la nécessité de se lever, à défaut d’aller courir ou nager, s’impose. La pénibilité du statisme prolongé, voire son caractère mortifère, se maintient par l’absorbante fébrilité créatrice mais au prix d’une tension qui n’est acceptée que parce qu’on lui affecte un indice de valorisation personnelle supérieure, au nom de l’écriture. Il faut souffrir pour créer…Lutter contre notre propension à sortir nous balader au soleil. Nous soumettons quand même nos corps à des positions d’assise prolongées que l’on sait néfastes pour notre santé et notre vitalité. On est ailleurs que dans son corps, on ne l’habite plus. Tel est le tribut de l’écrivain à son art.

Quel statut pour la coulure en écriture ?

 La coulure en peinture est une force dynamique et expressive rappelant la matière liquide du médium travaillé, comme l’a souligné A. de Sainte-Marie. Cette dimension physique de l’épanchement de la matière picturale est –elle une volonté déclarée de l’artiste ou un simple accident survenu sur la toile et laissé tel comme trace ? Ce qui survient « par hasard » sans l’avoir cherché consciemment peut-il être intégré comme un élément figuratif, comme c’est, semble-t-il, le cas dans certaines « Odyssée », où les coulures deviennent une sorte de chute d’eau, de fontaine, de ruissellement ? La coulure soulève des questions relevant d’une poétique de l’art pictural, en ce qu’elle exprime un cheminement incontrôlable des écoulements de peinture qui confronte précisément la maîtrise à l’acceptation d’une part de non-maîtrise comme suprême dans l’acte créateur. Oser la visibilité de cette non-maîtrise relève d’une démarche artistique d’un degré raffiné, (Pollock en a usé) que l’on pourrait interpréter à tort pour une sorte de désinvolture, de laisser-aller, alors que la rétention du geste qui effacerait la coulure, signifie en soi beaucoup. C’est le contrôle sur son œuvre qui est limité là parce que l’artiste sait qu’elle lui échappe de toute façon toujours en partie. C’est donc un signe de clairvoyance artistique que de refuser la facilité du léché, de l’aspect facticement parfait.

Et en écriture, quel serait l’équivalent de la coulure ?

Ce qui échappe à l’écrivain à son insu, qu’il ne rattrape pas parce que la coulure se situe entre les lignes, dans l’invisibilité de ce qui est suggéré inconsciemment, malgré lui, sans même être écrit mais que le lecteur attentif perçoit comme caractéristique peut-être de cet auteur; ce qui coule des mots, ce qui est tacitement ou pas entraîné par eux dans l’imaginaire singulier du lecteur, une coulure plus de réception que d’émission peut-être, sur lequel l’écrivain n’aurait aucune prise.

Ce peut être aussi ce qui sort de la cohérence stricte, du plan d’écriture, du projet, une divagation digressive intempestive, impromptue, que l’écrivain accepte, accueille presque passivement, en étant « agi », parce qu’il sent là une expression d’intensité, « pépite » qu’il serait coupable de refuser. La coulure laisse un certain degré au libre cours, une sorte de lâcher prise d’exception qui ressort toujours de l’imprévu, donc de l’inconscient de l’auteur.

La coulure a à voir avec une surabondance créatrice, comme un trop plein qui déborderait les capacités formelles de l’auteur, son fil directeur, et qui serait susceptible de l’entraîner là où il n’avait pas encore eu l’idée d’aller, à emprunter des voies de traverses inexplorées, qu’il a initiées sans s’en rendre compte, et qu’il lui importe ensuite de ne pas négliger parce qu’elle recèle quelque chose, précisément, de précieux.

 

Marion Lafage

Ekphrasis d’un tableau d’Armelle de Sainte-Marie

 

Flotter du fond

 

Il y a frou-frou autour des yeux, dans les ronds et les ovales du fond

Liquide et flaques sous des coulures orangées

Le mauve, le bleu et le presque vert filtrent la lumière

Des monts, des cônes, des pointes en serpentins flasques

Un corail orangé reflète le flou

J’ai plongé dans le puits de lumière vert d’eau et j’ai trouvé l’espace, les interstices dans le voile en mouvement.

Des flots, en force

Du friable à la fragilité.

A propos de l’écriture et de la peinture .

 A l’écoute d’Armelle, je me suis questionnée sur l’adéquation entre le projet et le dispositif. Peut-on avoir un projet en écriture et en peinture ? Marguerite Duras disait que si elle savait à l’avance ce qu’elle allait écrire, elle n’écrirait pas. Il me semble que dans l’exposé d’Armelle il y avait quelque chose de cet ordre-là.

Dans la peinture et dans l’écriture il me semble qu’il y a une forme de lâcher prise, de « déverrouillage » pour qu’il y ait émergence. Accepter de laisser faire, accepter le surgissement. Les points de contacts impossibles deviennent des ponts : il y a transversalité des médiations possibles. Dans l’écriture, il me semble que l’objet « support », l’outil ont une place secondaire. Dans la peinture, la place de l’objet est tout autre. Je pense que cela offre des perspectives en écriture : écrire ailleurs, autrement, dans et sur d’autres supports.

La question du corps, de la respiration et du mouvement me semble proche en écriture et en peinture. Je m’attarde sur mon corps écrivant, sur le thorax, l’inspiration, le croisement des jambes, le regard qui balaie, les « blocages » dans l’halètement et la respiration du haut. Je m’interroge sur la recherche d’une décontraction, d’un relâchement à la lecture, en passant par la respiration abdominale. Dans la peinture, Armelle nous a fait part de son oubli du corps dans les moments de création. Il me semble qu’en écriture quelque chose se joue de la même manière.

A l’issue de ce moment, j’ai envie de parler de peindriture : il y a lien entre peinture et écriture, il y a interaction.

Muriel Gimenez

Une œuvre, des mots

« Night clouds » (je n’ai lu le titre qu’après avoir écrit)

Mots :

blanc, noir, binaire, tâche, goutte, trait, discontinuité & continuité, toile, troi  ( ?), tissage, encre, discrétion, trame, eau, écoulement

Plénitude, obscur, rugueux, doux, soyeux, indéfini, inodore, âpre, calme, silence

Texte :

Rectangle de papier. Trame obscure et rugueuse. Impression d’imprégnante âpreté. Tumeur rampante sans rémission prévue. Et pourtant c’est dans la continuité.

Sandra

Tram volume 12

Le cadre de bois épais

vibre

sous le rythme dense.

Entrelacements cadencés,

répétition du geste

parfaitement maitrisé,

affiné jusqu’à l’épure.

 

Trait cramoisi ou brun pourpre

épais parfum de framboise

des flèches qui sifflent,

filent,

incisent l’espace en volumes nerveux.

 

L’œil plonge,

s’approche

s’aiguise.

Tout s’organise.

L’espace est là,

profondeur délicate subtilement tracée.

La lumière fuse.

 

Nathalie Feffer

 

 

 

 

 

 

 

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