FRONTIERES / Présentation de l’expo par ceux qui l’ont conçue : les étudiants de Classe Préparatoire aux Etudes Scientifiques

Le 9 février 2020
dans Expositions, Projets pédagogiques

Artiste(s) invité(s)

MONTCHAMP Matthieu
PUECH Alain
PORTES Jean-Paul
NAVARRO Pascal
MOREAU Fabien
MEZZAPELLE François
FONTCUBERTA Joan
DOMERGUE Philippe
DAUTIER Yves
CHOSTAKOFF Marc

Frontières


Vernissage
5 mars 2020
Exposition
du vendredi 06 mars 2020 au

FRONTIERES

Texte collectif des étudiants de CPES

Premier type de frontières : la limite entre des espaces

Tout d’abord il convient de se demander : qu’est-ce que la frontière ? Pour répondre brièvement nous pourrions dire tout d’abord que la frontière est la limite entre deux Etats, ou le bord à ne pas dépasser. Effectivement qui dit séparation d’Etats, dit séparation entre populations (ce qui produit parfois une peur envers l’étranger).

L’oeuvre de Matthieu Montchamp nous amène à nous demander si les montagnes sont aussi une forme de frontière. Y a-t-il des frontières « naturelles » ? Peut-on en repérer sur ce tableau ? Prenons un exemple. Le Massif Central est une montagne mais n’est pas une frontière, alors que les Pyrénées constituent la frontière franco-espagnole. Et il y a des frontière politiques qui ne correspondent à rien dans la nature. Cette oeuvre s’incrit dans un série de Montchamp autour de la figure d’Hanibal, ce général cartaginois en guerre contre Rome et qui a traversé les Alpes avec des éléphants. Dans un entretien réalisé par l’Artothèque, Montchamp a expliqué que pour lui il s’agit de réfléchir aux rapports entre le territoire, le pouvoir et la guerre (les cartes aériennes ont très souvent une vocation militaire).

L’œuvre de Marc Chostakoff présentée dans l’exposition peut nous inciter à réfléchir sur la frontière. L’une des principales fonction de cette œuvre est l’effet instinctif qu’elle produit en tant que frontière géographique (la séparation que constitue la mer). Le « trou » créé au bord de la mer par l’artiste, par un effet de trucage, nous amène à nous demander ce que c’est. On peut aussi se demander si ce n’est pas le manque de l’autre provoqué par une frontière quelconque. Faut-il accepter cette imposition de frontière qui provient de choix humains, et qui peut exprimer un manque de curiosité envers l’autre (le manque, symbolisé par le trou sur le tableau) ?

On pourrait se demander aussi si les communautés qui s’écartent les unes des autres ne dérivent pas vers une attitude sectaire. Prenons un exemple concret, celui des USA qui acceptent de recevoir des touristes français mais qui refoulent les Mexicains. Car bien sûr les termes de secte et de frontière ont un lien réel par le fait de rester entre soi et de rejeter les autres individus. Pour en revenir au sujet de la frontière géographique on peut se demander si le fait que les gens soient séparés n’évoque pas aussi une séparation de leur vision du monde artistique. Car bien sûr, mises à part peut-être les œuvres universelles telles que la Joconde, adhère-t-on tous à la même définition de ce qu’est l’Art ? Comment mettre en commun nos modes de pensée, aussi lointain soient-ils, pour décider ce qui est de l’Art ou non ?

Deuxième type de frontières : les différences entre les espèces vivantes

On peut parfois confondre la flore et la faune, un animal et un végétal. Nous sommes mal à l’aise lorsque nous n’arrivons pas à savoir si un être est vivant ou pas, animal ou végétal, humain ou non humain, etc. Et des questions se posent : l’homme est-il un animal comme les autre ? Les chimpanzés ont-ils les même droit que les huître ? Comment fixer les limites ? De plus, de nouvelles espèces apparaissent et disparaissent, et cette évolution brouille les frontières, d’autant plus qu’aujourd’hui la pollution agit sur cette évolution.

Prenons l’oeuvre de Joan Fontcuberta. De loin elle nous fait penser à la tête d’un canard. Mais lorsqu’on se rapproche nous voyons plus de détails, et l’on s’aperçoit que ce n’est pas une tête de canard mais une plante. La plupart du temps nous somme troublés lorsque nous voyons cette œuvre pour la première fois, ce qui nous incite à davantage la contempler. Car nous nous rendons compte que la frontière qu’il y a entre le fait de voir un canard et de voir que c’est (en apparence) une plante dépend simplement de la distance et du point de vue que l’on a par rapport à cette œuvre . En réalité, d’ailleurs, il ne s’agit ni d’une plante, ni d’un animal, mais d’un assemblage d’éléments disparates. L’objet ne peut donc entrer dans aucune catégorie, il échappe aux frontières.

François Mezzapelle, lui aussi, joue avec les classements et l’inclassable. Dans un entretien avec l’Artothèque, il explique qu’il cherche à troubler le spectateur. Mais pour lui ses êtres étranges ont un autre objectif : celui de faire rire le spectateur.

Troisième type de frontière : entre l’écriture et le dessin

Il est étonnant de constater que l’écriture peut devenir une œuvre d’art. L’œuvre d’Alain Puech visible dans l’exposition se situe à la frontière du dessin et de l’écriture. Un texte y sépare en deux un visage d’homme, tout en reliant les deux parties.

On peut se questionner pour savoir comment l’écriture peut devenir de l’art. Y a-t-il une frontière entre l’écriture et l’art ? Comment l’ecriture peut-elle devenir de l’art ? Autrement dit quelles sont les conditions pour que l’ecriture devienne une œuvre d’art ? L’exposition montre la diversité des façons de traverser cette frontière, avec plusieurs supports, et plusieurs types de relation entre écriture, dessin et peinture.

Par exemple, la phrase « C’est bien beau tout ça » dans l’œuvre de Puech ne serait pas vue de la même manière si elle était une partie d’une simple lettre, mais le fait d’être encadrée, signée, associée au visage du bas et exposée dans un lieu artistique donne une autre ampleur à la vision des choses.

Par exemple, en ce qui concerne une lettre ordinaire et reçue pour être lue par le receveur, on porte rarement attention au style de l’écriture, à contrario d’une lettre dans un musée d’art.

Nous avons appris en cours que Nelson Goodman, philosophe américain, a dit qu’un objet peut être une œuvre d’art ou non selon le contexte. Un objet peut être ou non un « symbole » dans une période donnée, dans un lieu donné : il en va de même pour l’objet comme oeuvre d’art. Il “devient art” quand il implique de notre part un certain type d’attention. Lorsque nous regardons une pierre ou une phrase écrite à la main et que nous pensons qu’il s’agit d’une œuvre d’art, nous allons par exemple être sensibles à ses effets esthétiques, ou bien aux multiples références auxquelles cela peut renvoyer.

Pour Goodman, la frontière entre l’art et ce qui n’est pas de l’art n’est donc pas absolue, mais relative.

Quatrième type de frontière : entre le vrai et le faux

Plusieurs œuvres de l’exposition relèvent du trompe-l’oeil. Nous pouvons nous demander pourquoi dans la vie de tous les jours nous n’aimons pas être trompés, alors que lorsqu’il s’agit d’art nous pouvons y prendre du plaisir, et même ressentir de l’admiration envers l’œuvre et l’artiste.

Nous allons donc commencer par nous demander pourquoi nous n’aimons pas être trompés dans la vie de tous les jours alors que nous aimons être dupés par l’art, puis nous interrogerons la frontière entre les images qui assument le fait qu’elles veuillent nous tromper, et celles qui nous le cachent. Dans l’exposition, il y a même une oeuvre, celle de Jean-Paul Portes, qui nous parle explicitement d’illusions optiques et attire notre attention sur elles.

Dans la vie de tous les jours il y a des enjeux néfaste liés au fait d’être trompés. Par exemple lorsqu’on cueille un champignons mortel et qu’on le mange tout en pensant que c’est un champignons comestible. Ici l’erreur est fatale. Nous avons étudié en cours un texte de René Descartes qui explique qu’il faut se méfier des illusions des sens pour nous permettre d’accéder à la vérité.

Ce qui pose problème lorsque l’on est dans l’erreur c’est que la tromperie n’a pas été consentie. Alors que dans l’art nous sommes consentants a être trompés.

En effet nous sommes surpris, déstabilisés, mais il n’ y a aucune intention néfaste à l’ encontre du spectateur ébahi. Nous sommes curieux de savoir comment l’artiste a fait pour nous tromper, et lorsque nous l’apprenons alors nous admirons sa maîtrise technique, et plus nous somme surpris et plus le degré d’admiration à son égard augmente.

Donc tout est question d’enjeux. En effet si l’erreur a des conséquences néfastes à notre égard alors automatiquement nous ferons tout pour l’éviter, tandis que dans l’art nous allons avoir tendance à nous y intéresser, et à être curieux.

Nous pouvons nous demander si l’objectif des artistes peut être de nous inciter à la méfiance envers les images. Nous nous sommes aussi posé cette question à propos de Mémoires de nos pères, un film de Clint Eastwood que nous avons étudié dans l’année, qui raconte l’histoire d’une photographie prise durant la 2e Guerre Mondiale à Iwo Jima, et qui selon le regard que l’on porte sur elle peut être considérée comme “vraie” ou “fausse”.

La publicité et la propagande produisent des images mensongères : elles nous trompent sans pour autant nous le dire (contrairement aux œuvres d’art). On peut prendre comme exemple les publicités alimentaires où l’on voit des aliments magnifiques tels que les hamburgers de Mac Donald, et lorsque ce soi-disant magnifique hamburger est face à nous, on s’apperçoit que ce que l’on a vu dans la fiche publicitaire n’était que supercherie.

Peut-être que les œuvres d’art qui jouent sur l’illusion et la tromperie nous incitent à nous méfier des images en général, surtout lorsqu’elles se présentent comme « vraies ». Par ailleurs, la frontière entre le vrai et le faux est imprécise. Par exemple nous avons l’impression que l’oeuvre de Yves Dautier est une photographie alors qu’il s’agit d’une aquarelle. Toutefois, on ne pourrait parler de tromperie que si l’oeuvre disait clairement « Je suis une photographie », or ce n’est pas le cas.

Cinquième type de frontière : entre le passé et le présent

Tout d’abord commençons par évoquer une expérience de pensée : « Le Bateau Thésée », que nous mettrons en perspective avec certaines des œuvre de l’exposition.

Le bateau de Thésée fait référence a un mythe grec ou un héro rentre à Athènes après avoir parcouru les mers et vécu de folles aventure sur son bateau. À son retour, son bateau est préservé par les Athéniens : ils retirent une à une les planches usées et les remplacent par des planches neuves, jusqu’au jour où il ne reste plus aucune planche d’origine. Une question se pose : « est ce toujours le même bateau ? ». Quelle est la frontière entre le passé et le présent, entre l’identité d’un être, d’un objet ou d’un lieu et sa perte d’identité ?

Certaines œuvres de l’exposition sont des images qui représentent le lycée Artaud il y a quelques années, et même le terrain agricole sur lequel a été construit le lycée, à une époque où il n’existait donc pas : c’est le cas de l’œuvre de Pascal Navarro.

Cette œuvre titrée « Que deviendra ta maison ? » a été présentée aux agriculteurs qui vivaient sur ce site avant la construction du lycée. Si ils venaient au lycée aujourd’hui, penseraient-ils qu’ils sont dans le « même » lieu ? Dans un entetien avec l’Artothèque, Pascal Navarro a expliqué qu’il s’intéresse à la façon dont les images apparaissent et disparaissent. “Ce qui m’intéresse c’est d’être sur une ligne de crête, une ligne assez fine entre deux territoires : formel, affectif, une image, une autre. Mais la disparition matérielle des images m’intéresse aussi.”

De même, les photographies prises par Philippe Domergue il y a quelques annéees sont-elles une représentation du lycée Artaud ? D’après les œuvre de Domergue nous pouvons comparer deux époques différentes à un même endroit à vingt ans de distance. On remarque des détails banals pour l’époque qui aujourd’hui sont proscrits, comme la cigarette dans un lieu public. Le lycée lui-même a changé, notamment avec les travaux en cours. Alors est-ce le « même » lycée ? Y a-t-il continuité ou discontinuité ontologique entre le lycée en photo et le bâtiment actuel ?

Les œuvres qui représentent le lycée nous font voyager sur la frontière entre le passé et le présent.

Sixième type de frontière : entre ceux qui se sentent à leur aise dans les expositions d’art contemporain, et ceux qui ne s’y rendent jamais

L’œuvre de Fabien Moreau présente dans l’exposition nous a semblé intéressante car elle se situe à la frontière (ou au point de rencontre) entre deux mondes : celui de la « culture populaire de masse » (l’OM, les drapeaux, les tifos) et celui de la culture « savante » (l’art contemporain, l’Artothèque).

Au départ les étudiants de CPES pensaient que le musée et le « monde de l’art » (pour reprendre une expression d’Arthur Danto) concernaient majoritairement une classe sociale aisée, c’est à dire les riches. Un élève voyait même ce monde comme « sectaire ». Pourtant, avec ce projet avec l’Artothèque, cet élève a accédé au monde de l’art et a franchi cette frontière qu’il pensait infranchissable.

Mais en étudiant le sujet, nous nous sommes rendu compte qu’il n’était pas uniquement question d’argent en ce qui concerne cette frontière entre les gens qui s’intéressent à l’art contemporain et les autre. Car pour acheter certaines œuvres ou pour en voir d’autres dans des musées prestigieux il faut certes posséder un important capital économique. D’après les statistiques de l’INSEE, 69% des cadres supérieurs ont visité un musée au moins une fois dans l’année contre 20% des ouvriers.

Mais en fait il s’agit surtout de capital culturel. On a pu le constater en étudiant le film d’Agnès Jaoui Le Goût des autres dans lequel un chef d’entreprise fortuné ne trouve (du moins au début du film) aucun intérêt et aucun sens dans l’art, alors que des comédiens qui pourtant ne sont pas riches du tout fréquentent des musées et trouvent un certains plaisir à faire partie du monde de l’art.

L’idée que cette frontière est plus relative au capital culturel qu’au capital économique peut aussi être justifiée par le fait que rares sont les stars de la télé-réalité ou du football qui fréquentent les musées, alors qu’elles sont pourtant très riches, alors qu’énormément de professeurs qui vont au musée, sans pourtant avoir des salaires de stars. Cela dépend surtout de comment on a obtenu la richesse, c’est toujours une question de culture, d’éducation, ce qui nous ramène au problème lié à la différence de cultures entre les différentes classes sociales.

La catégorie sociale et le niveau d’études conditionnent fortement les pratiques culturelles. Le rôle de l’école (accessible à tous) est de réduire cette différence de capital culturel entre les différentes classes, afin par exemple que la porte d’entrée d’un lieu d’art contemporain n’apparaisse plus à certains comme une frontière infranchissable.

Peut-être que ce projet de la CPES avec l’Artothèque y aura contribué.

 

 

 

 

 

 

 

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