Le DU « animateur d’ateliers d’écriture » à l’AAA

Le 17 septembre 2016
dans Expositions, Projets pédagogiques

Artiste(s) invité(s)

MONTCHAMP Matthieu
BOURSAULT Christophe

Le 14 mars 2016, l’Artothèque a accueilli 20 étudiants, adultes professionnels, en formation dans le cadre du D.U. d’animateur d’ateliers d’écriture à AMU (Aix-Marseille Université), dans le cadre du module Ecriture et création de LA FB.
L’objectif était de les faire réfléchir sur le geste créatif de l’écriture, en dialogue avec les démarches de création des plasticiens, de mettre en question le corps dans l’écriture, et la matière.
Ils ont visité l’exposition Super goütte et rencontré le peintre Christophe Boursault, dont les œuvres figuraient dans cette exposition collective, et qui leur a parlé de son processus de création. Il a ensuite répondu aux très nombreuses questions que la rencontre avec ses œuvres et son propos ont suscité chez les étudiants.
Puis les étudiants ont écrit, dans le cadre d’un dispositif d’atelier, des textes réflexifs en écho, ou créatifs sur une œuvre de leur choix dans l’exposition. Leurs retours oraux ont montré la fécondité de cette étape de travail.

Voici certains des travaux d’écriture menés à cette occasion.

(à partir de Matthieu Montchamp, Jardin 8)
Vent vibreur virevoltant d’antan, ta rudesse ride l’arbre. Tandis que le soleil, châle de chaleur, cajole les traits de pinceau qui saoulent ta danse, l’humus humide de la mare, reflet tatillon des bourgeons, fait vibrer les branches. Sous la touffeur liquide liquéfiée, au-delà des miasmes de la mare, reste le vert du saut de la grenouille, et les cercles du caillou tombé dans l’eau.

Impressions
Ce que j’ai en commun avec C. Boursault
Distance face à l’œuvre, utilisation du mouvement
Le corps tendu, la respiration hachée ou la longue inspiration
Le rythme rapide de l’écriture, l’espace externe réel inexistant, l’espace sur la table important
Couleurs, sensations
Trais du pinceau (rapide, tourment, etc.)
Sonorité, musique, rythme
La solitude pour écrire ? (Solitude pouvant aussi se percevoir dans un lieu extérieur, un café par exemple)
L’accompagnement musical
Un certain état d’esprit (l’énervement n’aide pas à créer)
Ce qui est différent
L’émotion qui doit toujours être ressentie
L’œuvre jamais finie, qui nécessite un travail de longue haleine et de longues plages de temps
Le sens de l’œuvre (figuration/ /abstraction)

Mélanie Andurand

 

Nos gestes graphiques

Rencontre de Christophe Boursault

                     A l’origine, il y a la surface blanche à traverser par un prolongement de nous-mêmes , pour se confronter à l’altérité et aux couleurs qu’on lui donnera.

                    Quelle altérité ?

                    Le visage de First ou celui d’Ulysse qu’on écrit et réécrit sans cesse dans un seul souffle.
                    Le visage facétieux du surgissement est le résultat d’un processus lent qui couve mais qui peut aboutir à une fulgurance.

                    On sent à peine le sursaut, l’émotion…

                   Quelle émotion ?

                   Alors le geste peut devenir généreux, ample, ou se ramasser , triturer, revenir, creuser puis hisser .
                  Quand une réminiscence éphémère nous échappe on ne cherche même pas à la retenir car déjà un autre sursaut nous fait trembler donc exister ailleurs.

                  Les trajectoires sont aléatoires, elles semblent l’être car nous aussi nous dédaignons le projet pour un extrême présent.

Claude Camilleri Salaün

 

Demi-tour

(d’après un tableau de Matthieu Montchamp exposé à l’Artothèque Antonin Artaud, janvier-mars 2016 – expo collective « super goütte »)

Bientôt, au bitume et au béton se substitue l’herbe haute et sombre. Passé le remblai, on aperçoit cette construction improbable, éplorée. Une odeur poivrée vous prend à la gorge comme une grippe. Dans la pénombre, le bâtiment ressemble davantage à une tour d’échiquier qu’à une Babel aussi humble soit-elle. Les degrés s’élèvent dans une lumière blafarde sur trois niveaux. Trois arcs de cercle. Incomplets. Car bien vite on se rend compte qu’il s’agit d’une demi-tour. Derrière, on dirait le châssis d’une toile de peintre. Un décor de cinéma dans un nowhere land.

Bizarrement, faire le tour de cette demi-tour prend un temps infini. Les hautes herbes freinent l’avancée mais à peine. Il y a autre chose. Plus d’odeur poivrée mais une odeur de glycine suave, écoeurante, de fleur trop en fleur. La lune jusqu’alors cachée par les nuages dévoile une porte. Une porte grillagée, rouillée dans une confusion de végétation sauvage. La demi-tour dans le dos, comme un regard insistant et pesant. On avance cependant, sans peur excessive. Avec juste en soi la nécessité d’avancer. Comme dans un rêve. Oui, mais pas tout à fait. L’odeur n’atteindrait pas le rêve. Qui dit ça ? Résister contre l’envie de vérifier. On se retourne, la demi-tour est toujours là. Plus rose que blafarde. Quelque chose glisse dans l’herbe. Cette fois la peur me prend.
Faire demi-tour. Demi-tour. Une odeur de pin. Une touffe de poils s’engouffre dans les buissons. L’odeur de résineux – mais plus chimique – est de plus en plus forte. Quelque chose frôle mes jambes. Aussitôt une sensation de brûlure atroce sur la peau. Ça part du bas. Je n’ose regarder mais quand finalement je le fais, je découvre que le bas de mon corps a disparu. Quelque chose d’une couleur indéfinie se plaque sur mes cheveux, mon visage, je dispar…

– Finalement, tu l’as effacé ?
– Oui, ça gâchait tout !
– Ah bon ? Je trouvais que ton petit bonhomme valorisait ta tour justement !
– Non, il était inutile… et puis trop bavard… j’avais envie de peindre le silence… Attention tu vas renverser la térébenthine !

Réflexions après la rencontre de Christophe Boursault à l’Artothèque

Ce qui me frappe quand Christophe Boursault parle de son travail c’est l’énergie condensée, ramassée qui explose, éclate, semble déborder du cadre comme dans « Le Souffle » au réfectoire, où les visages semblent vouloir sortir du cadre, mais sont aussi contenus aux angles. Christophe parle d’abord du lien, du groupe, du collectif d’artistes, ils exposent ensemble, les points communs sont nombreux mais les différences aussi. Un style brut, plus improvisé, pour lui et Charles Gouvernet.

Ce qui me frappe quand je m’observe en train d’écrire, c’est ma posture très près du papier, contact presque physique avec le papier. Mes brouillons très brouillons, mes ratures, mon rapport au blanc, à ce qui n’est pas encore écrit. La plongée en écriture n’est pas la même. Les écrivains ont peut-être plus le droit à l’erreur. La prise de risque est différente. Nous aussi qui écrivons, il nous faut être en phase, sans phrases, sans phrasés, mais le geste d’écrire permet à un moment de trouver un rythme de croisière.

… se faire peur, dit Christophe, il y a un moment il faut y aller sans avoir peur de gâcher le blanc de la toile/du papier… plus que chez l’écrivain, une question de feeling et de timing dans la démarche du peintre, qui y va, qui se lance. Y aller, se lancer dans le jeu, tel un enfant. « First » comme un pied de nez avec la reconnaissance, la compétition sur le marché de l’art. Jouer avec les codes aussi, oui. Premier à faire ce geste là ! Prem’s !
Les pots de peinture tapis dans l’ombre ne nous sautent pas dessus mais nous les jetons à la gueule du blanc qui fera moins le malin une fois splatché, traversé, éclaboussé, droppé de gouttes « super goütte ».

À Christophe, donc l’énergie, la couleur, les clowns, le chaos, les dents, la rapidité du geste, et puis en retrait, le retrait, la maîtrise quand même. Des traversées, des traits, équilibrent ou créent des tensions.

Mes tensions dans le corps quand j’écris, corps moins souple de la cinquantaine, dos voûté, je me rends compte parfois après des phases intenses d’écriture que je suis en apnée. Trapèze endolori, je me redresse, roule les épaules en arrière, croise les doigts, retourne paumes de mains. Se lever, faire quelques pas, bras s’étirant vers le haut. La page appelle. S’asseoir de nouveau à la table. Lire. Biffer, rager, chercher un mot. Mettre de l’ordre dans tout ce chaos de mots venus d’on ne sait où.

Les mots pour Christophe comme des accroches, une manière parfois d’entrer en peinture. « 100% », celui-ci ça a commencé comme ça. 100% pathos, dans un jeu avec le reproche qu’on fait à ce genre de tableau. Lequel ? Est-ce « Fuite des ego » ? ou « La Prise », avec le monstre aux vraies dents ? On distingue en haut du tableau, à l’envers, le début de l’inscription LE REMPLIR. Le jeu du plein et du vide. L’importance d’aérer. Comme nous qui écrivons. Le trop-plein, le trop-vide, plus encombrants qu’utiles. Donc parfois, le mot déclenche le geste du peintre. Parfois aussi, c’est l’inverse. « Quand la sauce monte, il y a des mots »

Quand ça court sur la page, quand tout paraît facile, quand on ne parvient plus à s’arrêter, tendance à croire que c’est bon, que quelque chose d’important se joue dans l’écriture. Déchanter souvent à la relecture. Pour Christophe, aussi. « Se méfier de sa musique, d’être bien dans ce que tu fais et faire de la merde pourtant ». Le jeu ne permet pas tout. Il faut prendre de la distance dans le jeu sinon on va reproduire des choses, ce qui n’est pas vraiment le but. Christophe parle souvent de jeu, mais plus curieuse cette réponse qu’il fait lorsque l’une d’entre lui demande quand il sait qu’il a fini un tableau : « C’est comme quand on est petit, qu’un jouet est fini ». L’artiste en enfant fabriquant de jouets pour enfants. L’instinct du jeu, de l’enfance jamais perdue, de l’improvisation, du faire.

Ce qui me manque.

Christine Zottele

 

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